Elle a une petite trentaine d’années mais elle semble en avoir plus de 40. Kalzang Jangphel porte la tristesse ancrée en elle. Elle a perdu son mari, chauffeur de taxi dans un accident de voiture l’année dernière. Il avait bu toutes les économies du ménage et l’a laissée sans un sou, sans potager ni terres, sans rien d’autre que son fils de 7 ans. Jangphel dépend de la solidarité des habitants de Kaza. Et la solidarité, en Inde est aussi courante que les baobabs sur les plages de Normandie. Jangphel dépend de la gentillesse de quelques rares personnes et acheter de quoi manger est devenu très dur pour elle. Alors, quand ces françaises sont entrées dans la maison avec une machine à tricoter, et lui ont dit que c’était pour elle, le vase a débordé, les larmes si longtemps contenues ont dévalé le long de ses joues. Au Spiti, comme au Zanskar, la pudeur est de mise tant dans sa tenue que dans l’expression des sentiments. Cette réaction est d’autant plus surprenante. Nous sommes partagées entre la surprise pour les unes et la gène pour les autres. Nous ne pouvons pas céder à notre impulsion de la réconforter. D’un geste, Passang, notre amie indienne nous arrête et nous devons rester à notre place, impuissantes. Nous ne nous attendions pas à cela et bientôt, tout le monde pleure. Le Spiti est pour l’instant ignoré des associations humanitaires. Cette initiative est une première pour le village de Kaza. Jangphel ne croyait pas qu’une association du bout du monde prêterait attention à une pauvre mère isolée.
Le thé, les petits biscuits et la tsampa, cette farine d’orge grillée mélangée à du beurre pas trop rance accompagnent nos pépiements et sèchent les larmes de Jangphel. Quand nous prenons congé et que nous saluons Jangphel, elle me tend un sourire plein d’espoir.
Aujourd’hui, Jangphel tricote presque jour et nuit des vêtements d’enfant qu’elle vend sur le marché et le sourire se fait plus fréquent sur ses lèvres.